« Tout est possible, les oreilles sont ouvertes, les aspirations aiguisées, il faut être au rendez-vous »

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La députée des Hauts-de-Seine, Elsa Faucillon, observe la période un peu comme toutes les têtes à gauche. Une touche d’espoir et une autre de crainte. La communiste ne sait pas dans quel camp retombera le ballon après les dégâts de la crise sanitaire. Elle prévient : la gauche, peu importe sa couleur, ne doit pas se cacher, encore moins décevoir. Afin de réussir, dit-elle, son camp, au sens large, devra également se «déviriliser» pour changer la société en «profondeur». Entretien.

Comment vivez-vous la période actuelle ?

Sur le plan personnel, comme tout le monde: ça a été déroutant mais je ne suis pas à plaindre. Politiquement, je la vis comme un moment de basculement, mais rien ne dit quelles seront les coordonnées d’atterrissage. Tout est possible, les oreilles sont ouvertes, les aspirations aiguisées, il faut être au rendez-vous. J’ai en mémoire le livre Le choc des utopies, dans lequel Naomi Klein raconte l’après des tempêtes ravageuses à Porto Rico. Il y a d’un côté ceux qui promettent la richesse par la privatisation de l’île au profit du tourisme de luxe. De l’autre, ceux qui s’appuient sur les solidarités existantes et celles mises en place pendant les événements climatiques, destructeurs, pour transformer les modes de consommation, les normes sociales, la hiérarchie des valeurs. J’y vois un écho avec ce que nous vivons, par le caractère brutal et décisif de la période.

Vous avez des doutes ?

Je n’ai aucun doute sur le fait que le gouvernement et les grands patrons entendent de nouveau faire payer la crise à celles et ceux qui créent la richesse. Dérogation au temps de travail, aux congés payés, décrets qui raccourcissent les délais aux instances représentatives du personnel, absence de réponses pour les précaires, les extras, les saisonniers… Si, avant la crise, nombreux sont celles et ceux qui voyaient que ce système nous menait dans le mur, ils étaient presque autant à penser qu’un renversement était impossible. La crise a pour une part brisé l’illusion d’une machine économique impossible à arrêter. La marchandisation est, à juste titre, de plus en plus perçue comme abîmant la qualité de nos relations, détruisant la planète et dégradant le sens de nos activités. L’espoir doit se concrétiser par des contenus et des initiatives qui fédèrent.

Est-ce que vous avez peur des lendemains ?

Oui et non. Je redoute que s’accélère la politique de la peur – elle était très féconde avant la crise. Peur de l’autre, peur du chômage qui te pousse à accepter n’importe quoi pour ne pas perdre ton boulot. La crise, les crises sont un terreau fertile pour l’autoritarisme. Et je constate que la trouille – évidemment légitime – du Covid peut pousser beaucoup de monde à accepter une restriction massive de nos libertés publiques. Faute de masques, faute de tests, le gouvernement cherchait une solution dans le traçage [des téléphones portables des personnes infectées par le coronavirus, ndlr]. Il faut rappeler que ces attaques ne restent jamais temporaires. Et ceux qui sont déjà discriminés qui payent le plus cher. Le début du confinement a été marqué par une stigmatisation des quartiers populaires et une montée en puissance des violences policières. Il est absolument horrible, mais pas étonnant, que l’agression raciste à l’Ile Saint-Denis ait eu lieu pendant la crise. Il y a aussi dans la période une sorte de fétichisation des frontières. Alors même que les gens étaient confinés et qu’aujourd’hui ils ne peuvent pas se déplacer à plus de 100 km, ceux qui font de l’immigration l’objet de tous les maux ont prétendu que la fermeture des frontières serait le rempart contre la maladie. Le risque d’intensification du racisme et de la xénophobie est palpable.

Vos craintes sont nombreuses…

Quand je parle de basculement, j’ai conscience qu’il peut pencher vers le pire. Le travail pour porter l’espoir n’est ni mince, ni facile. Mais je veux croire que toutes les initiatives de solidarités, la prise de conscience de l’indispensable nécessité des services publics, des circuits-courts, le rapport au temps et l’importance de nos liens ont un avenir immédiat.

Cette crise remet-elle en cause certaines de vos certitudes ?

Je fonctionne peu aux certitudes habituellement, plutôt aux convictions. Et celles-ci sont loin d’être altérées par cette crise, au contraire. Ça me bouffe de voir mon pays relayer les attaques de Trump contre la Chine, le président français se la jouer à diriger la sixième puissance économique mondiale alors qu’ici même des étudiants ont faim, des parents sautent des repas pour permettre aux enfants de manger, des mineurs non accompagnés sont laissés dans des hôtels dégueulasses tout seuls et sans savon. Evidemment que le doute est permis, toujours, et qu’il faut se laisser surprendre pour apprendre. Mais, franchement, il y a des soirs où c’est la rage qui vient quand vous entendez qu’on n’a pas assez de respirateurs en réanimation, qu’on va donner des médailles aux soignants plutôt que de revaloriser leur salaire, que Sanofi – qui a versé 4 milliards de dividendes et dont la filière recherche est dopée aux aides publiques filera son vaccin aux Etats-Unis, plus offrants que les autres.

Quel est votre rôle dans l’opposition ?

Difficile de raconter qu’on obtient beaucoup ou que notre participation au débat démocratique est féconde. La conception macronienne de la démocratie pousse la déchéance de la Ve République à son paroxysme. Alors, cette tribune [à l’Assemblée nationale, ndlr] sert souvent à porter la colère. Elle est une audience qu’il ne faut jamais négliger pour transformer des revendications en objets politiques. La société tout entière voit combien des métiers jusque-là dévalorisés sont en réalité essentiels. En temps normal, difficile de donner une valeur à ces activités et de créer une entrée pour porter leur revalorisation – je pense aux soignants, aux enseignants, aux caissières… Tous les soirs, des gens les applaudissent sincèrement, avec émotion. Ça ne doit pas redevenir un bruit de fond, un truc dont on se parle dans les dîners de famille flattant la dureté de leurs tâches. Notre rôle est de faire de cette question un objet politique.

Un exemple ?

Nous ne voulons rien lâcher pour l’abandon de la réforme de l’assurance chômage. Le second volet de cette réforme doit arriver en septembre, elle serait une catastrophe sociale et humaine. Il faudra faire plier le gouvernement.

Quelle est votre gauche ?

La définir, c’est souvent assez casse-gueule, mais la chose qui me marque aujourd’hui, c’est que la gauche – quand elle est encore perçue positivement – signifie avant tout les valeurs de solidarité, d’égalité. Ce n’est pas si mal, mais force est de constater que l’on a été totalement décrédibilisé sur la question de la liberté ou de l’invention de sa vie.

C’est-à-dire ?

Le libéralisme a gagné sur l’idée que la gauche était le supplément d’âme, ce que l’on redistribue aux pauvres gens. Au mieux, ce serait une sorte de Robin des bois des Temps modernes. Il faut casser cela et redevenir la force qui promeut et permet la liberté de maîtriser sa vie, et ce que l’on produit, y compris avec des droits individuels très forts. L’individu est le noyau du collectif. Sa nécessaire libération est le cœur du combat pour l’émancipation. Et, ce qui est certainement le plus important, ma gauche doit nécessairement être écolo et adossée à un mouvement populaire, surtout quand elle est au pouvoir. Sinon, à coup sûr, elle gouverne à droite.

Est-ce que vous pouvez la qualifier ?

Ma gauche ? Elle est de transformation sociale, gauche radicale, vraiment à gauche, gauche écologique. Ça nous parle entre nous, mais l’identification risque de créer des barrières. Je cherche plutôt les ponts. Etre radicale, ce n’est pas une posture par rapport aux autres forces mais un rapport aux normes, à l’ordre des choses, aux ruptures nécessaires. Trop de conseillers en politique ont théorisé qu’une élection se gagnait au centre, ce qui a laissé des millions de personnes sur le bord de l’action. Je crois qu’il y a en réalité une aspiration très forte à des propositions de rupture. Encore faut-il qu’elles soient attrayantes, qu’une perspective politique solide se dégage.

Un texte signé par plusieurs personnalités de gauche et écologistes a été publié dans plusieurs médias. Il propose l’organisation d’une «convention du monde commun». Pourquoi votre nom ne figure pas dans les signataires ?

D’abord, je vois des bouger intéressants dans ce texte. Je parlais des ruptures nécessaires pour affronter le néolibéralisme : la réflexion gagne du terrain. La tribune évoque le refus du pacte budgétaire, exige de tourner la page du productivisme : c’est important. Le centre de gravité évolue chez des sociaux-démocrates, des écolos… Mais je ne peux m’empêcher de constater que, dans le même temps, des signataires de cette tribune ont voté récemment des mesures d’urgence qui cassent encore un peu plus les droits sociaux. Ou encore que Yannick Jadot a signé une tribune avec des patrons du CAC 40. La gauche a trop déçu, elle ne peut plus se permettre que les actes soient détachés des discours.

Ça avance, votre mouvement du «big bang» ?

Depuis le lancement de Big Bang que nous avons initié avec Clémentine Autain, j’observe que l’appel à se parler, s’écouter, se respecter pour avancer en combinant le combat pour les exigences sociales et écologiques est loin d’être vain. Les initiatives que nous prenons depuis un an, au cirque Romanes à Paris, puis dans d’autres villes, les meetings en ligne, nous confirment que de plus en plus de composantes et de personnalités diverses peuvent se retrouver, sans gommer leurs identités politiques. Je sais que ce travail a quelque chose à la fois de crucial, d’urgent et de laborieux. Je ne me résous pas à la constitution, d’une part, d’un bloc resserré autour de la France insoumise et, de l’autre, d’une recomposition qui ressemble trop à l’union de la gauche qui n’a pas tiré leçon de ses échecs. Des choses bougent, mais le travail n’est pas fini pour tout remuer du sol au plafond.

Vous connaissez bien les sphères de votre camp et les complications dans les rapports entre courants, partis, mouvements. Vous y croyez vraiment en l’union de la gauche et des écologistes ?

Le terme «union de la gauche» renvoie à une histoire qui a fait son temps. C’est pareil quand on parle de «rassemblement», ça peut ressembler à une coquille vide. Il faut remplir le rassemblement de sens, de vie, d’espérance. Qui peut prétendre aujourd’hui gagner seul ou revendiquer l’hégémonie sur les autres? Face au duel organisé entre Macron et Le Pen, les comptes d’apothicaires nous mèneront à la catastrophe. Commencer par le «Qui» plutôt que par le «Quoi» est une impasse. Ceux qui mégotent sur la méthode mégotent en réalité sur l’idée de se rassembler.

Du coup, vous êtes pessimiste ?

Quand je vois l’appel des organisations syndicales et associatives «Plus jamais ça», je me sens très optimiste. Cherchons à être à la hauteur des initiatives et énergies très positives dans la société.

Aujourd’hui, est-ce qu’on peut se dire communiste et écologiste ?

Il s’agit d’un lien tout à fait logique. Encore faut-il que ce sentiment soit partagé. Vous n’êtes pas le seul à me poser la question, c’est donc que la relation ne va pas de soi. Pourtant, nombreux sont celles et ceux dans la société qui font un lien évident entre le capitalisme et la destruction de la planète. L’écologie est au cœur du nécessaire renouvellement de la visée communiste.

Vous estimez que votre parti est à la hauteur de la transition écologique ?

Je vois des maires communistes de grandes villes, à Gennevilliers, à Malakoff, Ivry ou Montreuil prendre des arrêtés anti-pesticides et mener la bataille avec les habitants de leurs villes. Je vois aussi le peu de relais apporté à cette question par mon parti. Nous avons un passé productiviste, or beaucoup de communistes sont prêts à tourner la page. Je ne néglige pas les contradictions pour lier préoccupations environnementales et sociales. Mais je crois qu’il y a une sous-estimation de la conscience qu’ont les classes populaires de l’urgence climatique : elles vivent très concrètement ses ravages et il faut arrêter de penser à leur place. L’écologie n’est pas qu’une préoccupation bourgeoise. Ce qu’il nous manque, c’est de lier social et environnement dans un projet fédérateur.

Vous avez été très critique de la ligne de votre secrétaire national, Fabien Roussel, lors de son intronisation en novembre 2018, pas assez ouvert sur les autres, notamment La France insoumise. Comment jugez-vous son travail depuis sa prise de fonction ?

Au moment du congrès, j’expliquais déjà que la question était moins celle du secrétaire national que celle de la nécessité d’affronter les questions qui se présentent à nous. Force est de constater que les choses de ce côté-là ont peu bougé.

Vous auriez pu prendre la tête du parti ?

Je n’y prétendais pas et les adhérents n’ont pas mis en tête le texte que je portais avec d’autres…

Comment expliquer que les partis à gauche soient tous dirigés par des hommes ?

Bonne question, cher journaliste de Libération. Votre canard m’a fait bondir il y a peu : 6 pages sur la gauche, une seule citation de femme au milieu de tous les autres. Vous n’êtes malheureusement pas les seuls, ni les pires, c’est dire ! Les périodes d’affaiblissement, et c’est le cas à gauche, apportent rarement des progrès internes aux partis. Je note aussi que pas mal de femmes quittent la politique, trop violente et envahissante. Elles trouvent alors d’autres espaces d’engagement moins marqués depuis des millénaires par les normes et codes du masculin. La gauche se trouve devant un défi politique : le féminisme ne concerne pas que les droits des femmes, il s’agit de modifier le cadre de la politique, notre rapport au pouvoir. Déviriliser, c’est changer la société en profondeur. Je suis persuadée que ça nous ferait du bien à toutes et à tous.

Vous travaillez avec les femmes d’autres partis pour peser dans chacune des familles politiques ?

Oui. Nous avons une question commune : que notre revendication ne se limite pas à avoir de le place mais à transformer cette place.

Est-ce que vous avez vu des bonnes ou mauvaises surprises dans la période de la crise sanitaire ?

dCertains arrivent encore à m’étonner. Que le ministre Darmanin lance une cagnotte Leetchi pour l’hôpital public au lieu, par exemple, de rétablir l’ISF ; que des députés LREM proposent que les salariés fassent don de leurs congés aux soignants… c’est scotchant, non ? Pour les belles surprises, voir des gens des quartiers de ma circonscription [Colombes, Gennevilliers, et Villeneuve-la-Garenne, ndlr] monter de gigantesques initiatives de solidarité en quelques jours, franchement ça donne quelques frissons ! Assez bluffée aussi de voir des acteurs et actrices connus du monde de la culture monter au créneau pour les invisibles du secteur. Et puis, pleine d’espoir de voir que dans les histoires imaginées par mon fils, les méchants sont ceux qui déforestent, qui braconnent ou qui pratiquent la chasse…