Contre un monde “hypermasculinisé”, elles disent stop au “coronaviril” – mon entretien dans les Inrocks

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Le 6 mai, les députées Elsa Faucillon (PCF) et Clémentine Autain (LFI) organisent un meeting féministe numérique qui rassemblera une vingtaine d’intervenantes, dont des représentantes de toute la gauche. Elsa Faucillon a répondu à nos questions.

C’est un des paradoxes de la situation depuis le début de la crise sanitaire : alors que les femmes sont majoritairement en première ligne – aides-soignantes, infirmières, caissières ou encore ouvrières du textile -, peu ont la parole pour contribuer à penser et construire le monde de demain. Face à ce constat d’un monde “hypermasculinisé”, les députées Elsa Faucillon (PCF) et Clémentine Autain (LFI) organisent un meeting féministe numérique le 6 mai à 17h30, qui rassemblera une vingtaine d’intervenantes pendant deux heures, dont des représentantes de toute la gauche (Manon Aubry de LFI, Esther Benbassa d’EELV, Marie-George Buffet du PCF, Caroline Fiat de LFI, Aurore Lalucq de Place publique, Roxane Lundy de Génération.s, Claire Monod de Génération.s, Christine Poupin du NPA, Sandra Regol d’EELV et Gabrielle Siry du PS). Elsa Faucillon nous explique l’origine de ce ras-le-bol face au “coronaviril”.

Dans cette période où il y a beaucoup de spéculation sur le monde d’après, vous organisez le 6 mai un meeting numérique sur le thème : “Demain sera féministe ou il ne sera pas”. Pourquoi cette initiative ?

Elsa Faucillon – Ce n’est évidemment pas la première initiative féministe à laquelle je participe, ou que j’organise. Mais depuis le début de la crise sanitaire, on constate que la symbolique de la guerre est omniprésente, que des hommes envahissent l’espace médiatique et politique à l’Assemblée nationale, et qu’ils sont mis dans des postures assez viriles – je pense par exemple à l’image très travaillée de Bruno Le Maire dans le Figaro Magazine, les pieds sur son bureau, avec un Rafale dans le dos. C’est d’autant plus choquant que celles qui sont réellement au front dans cette crise sont très majoritairement des femmes : chez les personnels d’aides-soignantes, il y a 90 % de femmes, chez les caissières, c’est plus de 75 %. Celles qui sont au front, qui ont des métiers profondément dévalorisés et mal payés, et qui assurent la majorité des tâches ménagères et parentales sont donc aussi celles à qui on interdit de penser à la fois l’urgence du moment, et le monde d’après. Voilà pourquoi nous organisons ce meeting.

Pendant la crise, le contraste entre la représentation politique et médiatique de la société, et la société réelle s’est-il accentué ?

Oui, complètement. Dans la société, il y a une prise de conscience de l’importance de ces métiers dévalorisés occupés par des femmes, et il faut évidemment s’en servir comme point d’appui pour chercher à les revaloriser. Mais ça ne peut pas se faire sans elles. Que ce soit mis en lumière dans ce contexte de crise, que des gens les applaudissent le soir, qu’ils disent qu’elles sont essentielles au pays, c’est une bonne chose, mais encore faut-il que politiquement, cette prise de conscience puisse déboucher sur une revalorisation concrète – et pas seulement salariale.

A-t-on plus besoin d’une aide-soignante, d’une infirmière, ou d’un trader ? Leur hiérarchie sociale dit quelque chose de la place à laquelle on souhaiterait voir les femmes dans la société. Aujourd’hui, il y a un vrai contraste entre elles, qui sont au front, et ceux qui utilisent la rhétorique de la guerre mais ne leur offrent rien pour les protéger. Dans cette séquence, la virilité est exacerbée. Pensez à la photo du “conseil de guerre” dans Paris-Match, au titre de Corse-Matin – “Avec eux” – alors qu’il n’y a que des femmes sur la photo… Il y a une invisibilisation, alors même que quand vous sortez pour vous soigner ou pour acheter de la nourriture, ce sont des femmes que vous croisez.

Avez-vous la crainte que dans l’après-crise sanitaire, la vague féministe soulevée par #MeToo soit reléguée, étouffée, que le féminisme devienne un combat de seconde zone ?

Evidemment. C’est fou, car l’image que je retiens de ces luttes juste avant le confinement, c’est celle d’Adèle Haenel qui se lève et se barre aux César, c’est la tribune de Virginie Despentes, et ce sont deux ou trois ans de luttes qui ont donné un nouveau souffle au mouvement féministe dans la société. Notre initiative a donc son contenu propre sur le contexte de crise, mais c’est aussi une alerte. Il ne faudrait pas que ce temps de crise sanitaire profite à un recul. Au contraire, on pense que de nouveaux combats sont à mener, en plus de la revalorisation des métiers féminisés, de la lutte contre le harcèlement, les agressions, les violences. Les femmes doivent avoir leur place dans le monde d’après, et doivent penser la question féministe dans son ensemble. Nous aussi on se lève, et on le dit avec ce meeting.

Le confinement a eu pour effet d’accroître les violences conjugales de manière très inquiétante, tandis que dans l’espace public le harcèlement de rue empire. Comment vous interprétez cette violence ?

Les moments de crise sont toujours des révélateurs et des moments d’exacerbation des inégalités et des violences. Cette crise révèle que nous n’avons pas encore mis les moyens à la hauteur de l’enjeu au niveau des politiques publiques.

D’autre part, on sait que la question de la domination patriarcale est à chaque fois exacerbée dans les moments où les hommes se sentent eux-mêmes mis en danger dans leur virilité. Dans cette période de crise, où ils ne pratiquent plus de sport, ne travaillent plus, n’ont plus d’espace de vie autre que le foyer pour leur permettre de révéler leur virilité, celle-ci se manifeste violemment. Enfin, le harcèlement de rue n’est déjà pas empêché quand il y a du monde dehors, alors quand il n’y a personne, comme en ce moment, il y a encore moins de possibles pour que quelqu’un s’interpose.

Ce qui me réjouit, c’est de voir que les formations de Caroline de Haas avec “Nous toutes” réunissent parfois 1000 personnes. Ça montre que des femmes veulent être actrices collectivement de cette question. Tout ce qui permet d’informer, est bien. Cependant, c’est d’autant plus efficace quand derrière des politiques publics existent partout sur le territoire.

Dans le meeting unitaire (du PS au NPA) que vous organisez, il y aura uniquement des intervenantes. Est-ce aussi un message adressé à certains médias, dont les plateaux peinent à être paritaires ?

Oui. Je ne veux pas que notre propos soit résumé à une humeur – c’est un travers qui existe fortement quand les femmes se rassemblent pour lancer une alerte collective. On est bien là pour affirmer un propos politique, et féministe. Mais il est clair qu’on est très remontées sur cette situation. Les intervenantes que nous avons contactées – dont une caissière, une conductrice de la RATP, une sociologue, un médecin – ont réagi en disant : “Merci, il faut le faire, il y’en a marre”. Au niveau politique, c’est patent : quand Edouard Philippe intervient à l’Assemblée nationale, nous assistons à trois heures de prises de paroles d’hommes ; quand Libération fait un dossier de huit pages sur la gauche et les écologistes, il y a une phrase de Valérie Rabault et que tout le reste ce sont des hommes ; sur les plateaux médiatiques, ce sont encore des hommes qui sont invités en grand nombre.

Il y a un vrai ras-le-bol. Cette situation est anormale, injuste et antidémocratique. Nous sommes inquiètes que la moitié de l’humanité ne participe pas à penser le monde d’après, qui se pense maintenant.

Propos recueillis par Mathieu Dejean