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Motion projet de loi pour une école de la confiance
Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Chers collègues,
« La tâche des instituteurs, ces obscurs soldats de la civilisation, est de donner au peuple les moyens intellectuels de se révolter ». Cette phrase de Louise Michel illustre avec des mots certes un peu datés le rôle essentiel des enseignants, mais elle résonne aussi particulièrement avec l’article 1 de votre loi et une certaine idée que vous vous faites de la contestation face à celle-ci.
Je doute d’ailleurs que vous repreniez ses mots à votre compte. Vous n’avez eu de cesse de tenter de vous défendre, d’abord en expliquant que vous étiez incompris, puis que les personnels mobilisés racontaient des bobards, et encore il y a peu que vous étiez le Ministre des professeurs et que toute cette contestation était disproportionnée.
Pourtant monsieur le ministre, c’est la ça la démocratie, il n’est pas question ici de juger, jauger votre sincérité mais de votre vision et de vos actes pour l’école.
Avec Frédérique Vidal vous avec lancé la Réforme sur l’entrée à l’université avec Parcoursup puis la réforme du lycée, cette loi appelée école de la confiance, les actions se multiplient non seulement chez les enseignants, mais également chez les lycéens, les parents d’élèves, les AED.
Oui monsieur le ministre, ces citoyens mobilisés dénoncent avec force l’esprit de votre loi qui vise des impératifs économiques au détriment de l’égalité en instaurant un système extrêmement concurrentiel et appauvri.
Face à une telle mobilisation, votre seule réponse est un email à l’attention de tous les professeurs de l’éducation nationale leur assurant qu’ils n’ont rien compris à la réforme.
Celle que vous aimez tant appeler la « plus belle maison de la République », brique après brique, vous en déstructurez son cadre national, formez des parcours d’initiés et accompagner les objectifs de CAP 2022. La méritocratie, ce n’est pas la réussite, les chances ne sont pas les droits, l’équité n’est pas l’égalité, un peu comme lire n’est pas déchiffrer.
Sous une apparence d’assemblage disparate, ce projet de loi a en réalité l’ambition d’une transformation libérale profonde du système éducatif.
Les personnels de l’éducation à qui vous demandez de la confiance, ressentent au contraire une immense défiance, et difficile de dire que l’éducation nationale serait encore aujourd’hui le repère des organisations de gauche ou d’extrême gauche : non simplement la suppression de poste, le gel des salaires, l’augmentation du temps de travail, le devoir de réserve hors du temps de travail, le paritarisme supprimé, la liberté pédagogique plus que menacée, les violences étouffées, le manque d’adultes pour accompagner tous les élèves, tout cela ça ne passe pas, parce que ça fait déjà des années que l’école est tenu à bout de bras par ces enseignants, parmi les plus mal payés d’Europe.
Mais rassurons-nous il y aura désormais un drapeau français et un drapeau européen dans toutes les classes, aux côtés des paroles de la Marseillaise et d’une carte de la France. Tout se passe comme si les cours d’histoire, de géographie et d’éducation civique n’avaient jamais existé avant ce projet de loi. Un peu comme la chorale ou la dictée, les enseignants ou les associations qui interviennent dans le cadre scolaire n’y avaient pas pensé.
Ce mépris est complété par la reprise en main de l’institution scolaire par le ministère, et le ministre à l’image de l’article 1 qui est une mesure de pression sur les professeurs, de défiance.
Le Conseil d’État, dans son avis du 5 décembre 2018, affirme que ces dispositions « ne produisent par elles-mêmes aucun effet de droit et réitèrent des obligations générales qui découlent du statut des fonctionnaires ». En effet, les termes « exemplarité » et « lien de confiance » n’ont aucune valeur normative. Ainsi le seul et unique objectif de cet article est de permettre davantage de sanctions disciplinaires qui seront fondées sur une grande part de subjectivité.
L’étude d’impact du projet de loi, nous éclaire sur ce que vous appelez confiance : « Le Gouvernement souhaite inscrire, dans la loi, la nécessaire protection de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public de l’éducation aux élèves et à leurs familles. Les dispositions de la présente mesure pourront ainsi être invoquées (…) dans le cadre d’affaires disciplinaires concernant des personnels de l’éducation nationale s’étant rendus coupables de faits portant atteinte à la réputation du service public ».
En s’appuyant sur cet article et cette évocation de la confiance, vous entendez pouvoir sanctionner ce que vous n’arriviez pas à punir actuellement. Sinon pourquoi ?
L’étude d’impact donne des exemples : « Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire. Ces dispositions pourront également être utilement invoquées par l’administration dans les cas de violences contre les personnels de la communauté éducative ou d’atteintes au droit au respect de leur vie privée, notamment par le biais de publications sur des réseaux sociaux ». Diffamatoire ça rime ou pas avec Bobards ?
De plus, cet article s’oppose à l’article 6 de la loi de 1983 stipulant que « La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires« .
Il en va de même pour le conseil de l’évaluation de l’école qui sera à présent sous contrôle du ministère. L’indépendance n’est pas un principe de seconde zone. Derrière l’inquiétude sur sa composition, c’est de la nature et la transparence de ses futurs travaux dont il est question. Le Cnesco pouvait s’autosaisir de sujets aussi variés que l’apprentissage de l’écriture ou la mixité sociale, a contrario, le CEE propose un cadre plus serré. Son rôle semble tenir en une mission : coordonner les évaluations d’établissements.
Sur la déstructuration du cadre national, il est par exemple prévu à l’article 8, sous couvert d’expérimentation, que la répartition des heures d’enseignement par matière puisse être différente d’un établissement à l’autre, en fonction des moyens locaux. Ceci fait évidemment écho à la réforme du lycée. Les inégalités territoriales, particulièrement pointées lors des mobilisations de cette année ont dit l’urgence d’y répondre, pas de les amplifier.
L’article 17 programme la fusion des académies, ce qui va entrainer la disparition de la moitié d’entre elles, de façon à n’en laisser qu’une par région. La constitution de 13 académies, avec la fusion des 28 existantes est bel et bien un pas supplémentaire vers une régionalisation de l’Education nationale et la remise en cause des règles nationales. Cela aura des effets sur les procédures d’affectation des enseignants ainsi que sur la gestion des personnels de l’éducation nationale et des rectorats. La fusion des académies aura aussi pour conséquence une « rationalisation » de la carte scolaire.
Cette rupture du principe d’égalité est complétée par la création des EPLEI correspondant à la mise en place d’un enseignement à deux vitesses. Ces établissements dérogeront au socle commun éducatif et bénéficieront de financements privés provenant d’« organisations internationales » ou de « dons ou legs » de droit privé. Mais ils seront bel et bien aussi financés par de l’argent public, cet argent dont il faut toujours faire économie quand il est pour tous et avec lequel vous êtes si généreux quand il concerne les premiers de cordée. Oui l’ensemble de ces mesures renforce la mise en place d’un parcours d’initiés pour un nombre restreint d’enfants triés sur le volet. Ces écoles, d’après vous, seront « un levier majeur d’attractivité nationale et internationale et valoriseront des parcours d’excellence orientés vers l’international ». Nous sommes habitués à la novlangue macronienne, mais nous avons là une phrase marketing de haut vol qui s’apparente davantage à la description d’un commerce que d’une école de la République. Nous savons déjà que ces écoles seront réservées à l’élite : fils et filles de diplomates ou d’employés d’organismes internationaux, enfants de Brexiteurs… Le concept du ruissellement transcrit au niveau culturel et éducatif, ça ressemble pourtant plus à La distinction de Bourdieu qu’autre chose cette affaire.
Vous nous direz que pour créer du commun, il y a maintenant le SNU, pas sûr qu’il soit bel et bien un jour obligatoire pour tous, ce que je ne souhaite pas, car c’est plutôt la caserne que l’éducation populaire.
Le Commun justement a été bien mis à mal pendant les débats sur les mères voilées accompagnatrices lors de sorties scolaires, car il s’agissait bien d’elles. Un débat ou plutôt une attaque qui comme à chaque tentative de division, d’exclusion, laisse des traces, chez des parents comme chez des enfants. Un débat que vous avez volontairement mis du temps à clore, Monsieur le ministre.
D’autre part, à une demande de revalorisation salariale et d’une élévation du niveau de qualification vous proposez la création d’une masse d’étudiants précaires, sans diplôme ni formation pédagogique, auxquels les chefs d’établissement demanderaient d’assurer des enseignements pour pallier le manque d’enseignants. Face à une situation de pénurie créée par vos propres logiques, vous tentez de la gérer et non de lutter contre.
En effet, l’article 14 prévoit que les Assistants d’éducation (AED), contractuels chargés de surveillance, soient utilisés comme professeurs apprentis, enseignants à moindre coût et sans possibilité de titularisation pendant quatre ans. Or, cet article ne précise pas les contours, le statut ou les missions des assistants d’éducation. Il laisse craindre la création d’une masse d’étudiants, sans diplôme ni formation pédagogique, auxquels les chefs d’établissement demanderaient d’assurer des enseignements pour pallier le manque d’enseignants. Il ne garantit pas une élévation du niveau de recrutement et ne répond pas à l’exigence d’un pré-recrutement qui assurerait une véritable formation des futurs enseignants et à la création d’un statut d’élève-fonctionnaire qui serait un préalable au passage des concours de l’enseignement.
Or, l’idée de pré-recrutement que nous défendons, ne peut être effective sans moyens et nécessite la création d’un statut de fonctionnaire-stagiaire. Ce statut pourrait être accordé dès la licence à des étudiants ayant l’objectif de passer un concours de l’enseignement et s’engageant à travailler pendant au moins cinq ans pour l’État après le passage du concours.
Cette loi, comme les 2 600 suppressions de postes d’enseignants dans les lycées et collèges, répond plus aux injonctions du Comité d’action publique 2022 qu’aux exigences d’égalité si nécessaire à une société émancipatrice.
D’ailleurs, même vos mesures qui auraient pu avoir un soutien de notre part, comme par exemple le dédoublement des classes en zone prioritaire, souffre d’un manque criant de moyens. A la rentrée prochaine, 300 000 écoliers seront accueillis dans quelque 10 000 classes dédoublées. Mais, pour que tous les enfants de Seine-Saint-Denis en bénéficient, il faudra attendre septembre 2020…
Pareil pour l’instruction obligatoire à 3 ans, les écoles privées maternelles vont trouver de nouvelles subventions alors même que l’école publique tire la langue. L’égalité impose de la justice Monsieur le Ministre
Enfin, ce projet de loi ne soulève que très légèrement la problématique de l’école inclusive alors même que c’était une de vos promesses d’intégrer –sérieusement- ce thème dans ce projet de loi.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste votera résolument contre ce projet de loi.