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Désireuse de tourner la page au Parti communiste français, la députée de 37 ans Elsa Faucillon est prête à un rapprochement avec La France insoumise, à rebours de nombre de ses camarades, qu’elle croisera à la Fête de l’Huma ce week-end.
Une rencontre à épisodes. La première fois, c’était en septembre 2017, à la Fête de l’Humanité. La direction du Parti communiste français affiche alors de nouveaux visages pour tenter d’exister médiatiquement. Elle convie la nouvelle députée des Hauts-de-Seine à un déjeuner avec la presse. Elsa Faucillon passe une tête. Quelques mots et puis s’éclipse. On la retrouve quelques jours tard au Bourbon, un café posté en face de l’Assemblée. On découvre une jeune élue (37 ans) qui ne semble guère stressée par sa nouvelle vie. Veste en cuir verte, jean, elle évoque son arrivé à l’Assemblée nationale : «A chaque fois que je croise un journaliste, il me demande si je suis de LREM ou si je suis attachée parlementaire… Ils restent la bouche ouverte lorsque je réponds : « Non, je suis députée PCF ».» Elle aime en jouer. Elle se marre.
Un an plus tard. Elsa Faucillon s’est fait remarquer à diverses reprises, notamment lors des débats sur la loi asile-immigration. Plus personne ne demande à la «rouge» si elle fait partie de la bande à Macron. Dans un autre rade proche du Palais-Bourbon : lunettes de soleil, robe à fleurs pour un été à rallonge. La députée fait le bilan de sa première année : «J’ai kiffé, vraiment kiffé. Parfois, c’était dur face à la majorité. J’ai néanmoins rencontré des gens géniaux et j’ai compris une chose : que mon écharpe de députée est beaucoup plus utile à l’extérieur de l’Assemblée.» Parlementaire de La France insoumise en Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain ne tarit pas d’éloges sur sa «copine», avec qui elle dirige la revue Regards : «Elle a du caractère, elle m’a bluffée. Elle ne cède jamais un pouce de terrain. Elsa est une féministe qui incarne avec talent une forme de modernité en restant attachée à ses traditions, une gauche radicale et populaire.»
«Liquidatrice»
Récemment, Elsa Faucillon s’est lancé un nouveau défi. Pour le prochain congrès du PCF qui aura lieu en novembre, elle va présenter un texte d’orientation : «Se réinventer ou disparaître !» Elle pousse pour une ligne de rupture («sortir des traités européens») et écolo («nous sommes trop en retard sur cette question»). La direction actuelle, menée par Pierre Laurent, se dirige selon elle lentement vers une voie sans issue. «Lorsqu’un parti est en difficulté, il se renferme sur lui-même alors qu’il faut faire tout le contraire, s’ouvrir. C’est une nécessité absolue», s’enflamme-t-elle. Comme beaucoup de militants communistes, elle garde en mémoire la dernière présidentielle : «La campagne de 2012 a été un moment incroyable de ma vie politique, c’était enthousiasmant. Mais cinq ans plus tard, la campagne de 2017 a été plus forte, Mélenchon était proche du second tour, mais il nous a manqué le fait d’être unis, ensemble.» Elsa Faucillon milite pour que son parti reprenne langue avec La France insoumise. En interne, ses mots agacent les tenants de la «ligne» du PCF, qui ont vite fait de surnommer ce pur produit du parti «la Liquidatrice».
Eté 1981 : trois mois après l’élection de François Mitterrand, elle voit le jour à Amiens, une ville qui a également vu naître Emmanuel Macron et grandir François Ruffin. Enfance sans histoire. Le paternel est technicien, la mère agent de sécurité. Les deux portent les deux mêmes casquettes : CGT et PCF. «Mon père, enfant de chœur, a découvert le parti par le curé. Pour lui, Jésus, c’était le chemin logique avant le communisme», étaye-t-elle – Elsa Faucillon ne croit pas en Dieu mais elle prie à chaque difficulté sans savoir pourquoi. Ses parents divorcent quelques mois après son huitième anniversaire : elle quitte la Picardie avec sa mère et son frère. Elle découvre la banlieue parisienne. Passe son adolescence dans les Hauts-de-Seine, à Colombes puis à Gennevilliers, où elle vit toujours.
Enième lapin
Alors que tout est rouge autour d’elle, elle ne s’intéresse pas encore à la politique. Elle y pose un premier orteil lors du référendum sur l’Europe en 2005. Le véritable déclic arrive l’année suivante : la jeune Faucillon se mobilise contre le Contrat premier embauche (CPE). Elle arpente le bitume, s’engage. L’étudiante en histoire de l’art («Je voulais organiser des expos») prend très vite de la place dans les Hauts-de-Seine au sein de sa famille politique. Elle gère la communication, puis devient secrétaire départementale : «J’ai toujours trouvé que le PCF avait une image passéiste, il était moins attractif que d’autres. Néanmoins, lorsqu’on s’engage, on ne le fait pas par opportunité ou pour l’argent, ce n’est pas le bon endroit pour ça.»
Elsa Faucillon croise le père de son enfant, Yann, un prof d’université en sociologie, au parti («un intello marrant»). Il est «trop fier de moi», souffle-t-elle avec les yeux du bonheur. Elle poursuit : «Il a un lien hyper fort avec l’histoire et, pour lui, être députée communiste, ce n’est pas un détail.» Le PCF semble omniprésent dans son entourage. «Tous mes amis ne sont pas au parti. J’ai déjà été en couple avec des gens qui n’étaient pas communistes. C’est dur de construire un avenir avec des gens de droite», lâche-t-elle. Avant d’ajouter : «Est-ce que vous demandez aux bourgeois qui se casent lors des rallyes pourquoi ils sont entre eux ? La différence entre eux et nous, c’est que nous, ça se fait naturellement.»
Après chaque échange, la députée prend le large. S’éloigne et va respirer ailleurs. Elle cause de Marseille, une ville où elle se sent bien, des romans qu’elle lit (elle s’apprête à ouvrir Lèvres de pierre de Nancy Huston), du sport qu’elle n’a pas le temps de faire. Puis elle revient toujours à Colombes et Gennevilliers : «Je n’ai pas envie de décevoir ceux avec qui j’ai grandi, ceux qui sont heureux pour moi, ceux qui ont besoin de moi.» La peur de changer aussi. La députée ne se «départit jamais de la fibre sensible. Il faut vivre les choses avec passion»,répète-t-elle à l’envi. Comprendre : elle ne cache pas ses émotions. L’élue détaille : «Je peux m’engueuler très fort et me marrer le lendemain avec la même personne. Je n’aime pas les détours, il faut se dire les choses, ne pas cacher ce qu’on a au fond de soi ni mentir pour faire plaisir.»
Ce week-end, dans les travées de la Fête de l’Humanité, elle souhaite que le rendez-vous entre «les forces antilibérales» ne soit pas un énième lapin dont l’histoire est friande. «Il ne faut pas tendre des mains d’un côté et lâcher des petites phrases de l’autre. Nous devons prendre des décisions concrètes, mener des actions.» Le «nous» englobe son parti, les autres formations politiques, les «intellos» et les «artistes engagés». Vendredi soir, elle passera une tête au concert de NTM, un groupe qui «représente ma jeunesse, qui représente exactement ce que je suis». Peut-être que JoeyStarr et Kool Shen lâcheront un de leurs morceaux phares : «Mais qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? Mais qu’est-ce qu’on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ?» Ils se montreront peut-être plus convaincants qu’Elsa Faucillon qui, au fond, pose – avec d’autres mots – les mêmes questions.