INTERVENTIONS SUR LA LOI FAKE NEWS

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Intervention en commission

A la lecture de cette loi, il nous apparait plusieurs imprécisions

La première imprécision dangereuse est dans l’article 1 : en cas de diffusion d’une fausse information, il sera possible de saisir le juge à travers une nouvelle action en référé permettant le cas échéant de supprimer le contenu, de déréférencer le site, voire de bloquer l’accès au site internet. L’expression « services de communication au public en ligne » peut intégrer les éditeurs de presse en ligne.

Ces derniers, garants avec les journalistes de la liberté d’expression, nous ont alerté à plusieurs reprises sur la nécessité de préciser ce terme, au risque d’égratigner la liberté d’expression, consubstantielle à notre démocratie. Inscrire dans le marbre une telle mesure reviendrait à remettre en cause l’article 1 de la loi du 1881, considérée à juste titre comme le texte juridique fondateur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression en France.

En plus d’être dangereuse, cette mesure est inutile puisque la loi de 1881 prévoit d’ores et déjà un délit de diffusion de fausse nouvelle et celui de diffamation punis d’amendes pouvant aller jusqu’à 45 000 euros. A quoi s’ajoute la loi de 2004 dite de « confiance dans l’économie numérique », qui prévoit l’annulation des contenus illicites sur Internet.

Il semblerait que vous reprenez là en substance une loi entrée en vigueur le 1er octobre en Allemagne, à laquelle les syndicats allemands de journalistes et de nombreuses associations se sont opposées, craignant notamment des fermetures de sites Internet. Le Conseil de l’Europe lui-même s’inquiétait de telles mesures, en contradiction avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Permettez-nous d’être méfiant étant donné l’époque de réticences face aux médias. Rappelons les dépôts de plainte du ministère du Travail et la menace de dépôt de plainte de la ministre de la Culture, fâchés par des révélations parues dans la presse.

Nous estimons que le dispositif juridique existant est suffisant pour lutter contre les informations malveillantes ou fausses. Les journalistes n’ont pas besoin de nouveaux contrôles, mais d’une réelle indépendance vis-à-vis des actionnaires qui détiennent les médias. De la même façon, les citoyens ont besoin d’une information pluraliste et vérifiée.

Nous décidons donc dans nos amendements de nous pencher sur les effets néfastes de la concentration des médias sur le contenu de l’information, sur le contrôle des plateformes, sur l’évolution des aides à la presse et enfin sur l’éducation aux médias.

 

 

Intervention générale : lutte contre la manipulation des fausses informations

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

Chers collègues,

 

« Pourvu que je ne parle ni de l’autorité, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, je puis tout imprimer librement, sous la direction, néanmoins, de deux ou trois censeurs. »

 

Voilà qui résume bien nos inquiétudes au sujet de cette proposition de loi « lutte contre la manipulation de l’information ».

 

Mais je veux d’abord dire quelques mots de la méthode utilisée par le gouvernement. Cette loi, qui vise à répondre à la commande expresse du Président de la République formulée lors de ses vœux à la presse en janvier dernier a été préparée par le cabinet de la Ministre Nyssen. Or, sans offense M. le rapporteur, elle est portée par un Député de la majorité, sous la forme d’une proposition de loi. Cela en dit long sur la volonté du gouvernement de précipiter le vote de cette loi, sans remous, sans débat, sans projecteurs et bien entendu, sans étude d’impact du gouvernement.

 

Pire encore, une nouvelle méthode est adoptée visant à déposer des amendements réécrivant l’intégralité des articles ce qui automatiquement, fait tomber nos amendements. Seulement quelques jours de commission sur un texte changeant, peu de place aux débats. C’est important d’en parler à titre de comparaison avec la loi de 1881 débattue pendant deux ans avant son adoption finale.

Chers collègues, je dois vous le dire, je trouve cette méthode un brin mesquine!

J’en viens à nos inquiétudes, elles sont importantes. Nous considérons qu’elle jette en pâture le « peuple numérique » pendant qu’elle laisse bien tranquille la faiblesse d’analyse des médias mainstream.  S’il ne faut pas minimiser le rôle nuisible des rumeurs et fausses informations, il n’en reste pas moins que les causes profondes du Brexit et de Trump sont à chercher dans l’économique, le social, les humiliations, la démocratie, le politique….

Face au nouveau paradigme informationnel auquel nous devons faire face (« infobésité », précarité de l’information, sources de plus en plus difficile à analyser), le gouvernement propose de légiférer. Or, le choix de la voie législative dans la lutte contre les fake news est dangereuse, le plus grand risque c’est que s’érige une vérité officielle. Permettre à chacun de se prévaloir de la vérité pour intenter en justice risque de mettre à mal le libre exercice de la liberté d’information et d’expression. La confusion possible entre visions du monde et fausses informations n’est pas un petit problème.

Nous avons évidemment tous en tête les affaires Cahuzac, Sarkozy/Kadhafi, Fillon, qui toutes ont été définies à leur sortie comme étant des fausses nouvelles…Il aura fallu plusieurs années à Médiapat pour obtenir gain de cause sur la véracité des documents.

L’article 1 de cette loi permet, en cas de diffusion d’une fausse information, en période électorale, de saisir le juge à travers une nouvelle action en référé permettant le cas échéant de supprimer le contenu, de déréférencer le site, voire de bloquer l’accès au site internet.

Cette procédure pourrait constituer une menace pour la liberté d’expression au regard de l’imprécision de la notion de « fausse information de nature à altérer la sincérité du scrutin », de l’étendue de son champ d’application (diffusion « par le biais d’un service de communication au public en ligne ») et de la sévérité des sanctions possibles décidé dans un laps de temps très court : 48heures.

Les précisions adoptées en commission ne sont pas suffisantes : la notion de mauvaise foi, en particulier, sera difficile à déterminer en 48 heures.

Si les « fake news » peuvent indéniablement être un obstacle à la bonne tenue du débat public, une restriction de la circulation des informations par le biais des services de communication en ligne peuvent comporter de lourdes menaces sur l’exercice de la liberté d’expression. L’arsenal législatif contre les fausses informations existe déjà, cette loi n’a donc rien de nécessaire mais on peut redouter l’incitation à l’autocensure. L’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 punit la propagation de fausses nouvelles lorsqu’elles sont susceptibles de troubler la « paix publique ».  L’article L. 97 du code électoral réprime la publication de fausses nouvelles ayant eu pour effet de fausser un scrutin électoral.  De plus, l’infraction de diffamation est tout à fait apte à sanctionner n’importe quelle fausse information.

En plus de judiciariser le débat politique, inscrire dans le marbre une telle mesure reviendrait à remettre en cause l’article 1 de la loi du 1881 (« L’imprimerie et la librairie sont libres »), considérée à juste titre comme le texte juridique fondateur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression en France.

Plusieurs limites sont à énoncer concernant la partie sur le CSA. Dans cette suite d’article, les expressions imprécises « sous influence d’un Etat étranger » et « bon fonctionnement des institutions » sont susceptibles de créer de la censure. Aucun élément n’est précisé par l’article pour étayer ce que le législateur entend par « influence ». Dès lors, l’influence peut être jugée de manière trop subjective. Est-ce le contenu des programmes ? Le financement de la chaîne ? Concernant la seconde expression imprécise, le Conseil d’Etat préconise de ne pas conserver ce terme, qui « nuit à l’intelligibilité générale de la disposition ». Les amendements du rapporteur lors de l’examen en commission visant à remplacer « déstabilisation des institutions » avec l’expression « fonctionnement régulier de ses institutions » ne change pas le fond du problème. Cette expression reste imprécise et comporte encore un risque de censure. La presse étant un contre-pouvoir, elle peut être considérée comme un élément « déstabilisateur », notamment lorsqu’elle met au jour des affaires liées au pouvoir exécutif ou législatif. Selon la belle formule de Camille Desmoulins, « la presse est la sentinelle de la démocratie ». C’est donc dans son ADN de déranger, de déstabiliser. Cette loi crée un climat de suspicion qui me dérange. D’ailleurs, même si je ne juge pas toutes vos PPL de ce jour de la même façon, je suis étonnée que la libération des énergies se traduisent pas 3 interdictions.

Par ailleurs, cette loi donne un pouvoir disproportionné au CSA et de fait étend à internet le cadre juridique de la régulation audiovisuelle. Or, exiger l’extension des principes de la régulation des contenus audiovisuels à internet relève du contresens, internet n’étant pas marqué par les spécificités du secteur audiovisuel. Le CSA n’a pas à mon sens la légitimité à interférer sur les contenus des sites de presse en ligne.

Enfin, cette proposition de loi reste totalement muette sur le sujet central de la concentration de la presse et des conflits d’intérêt. Ou encore de la communication de crise des grandes entreprises qui ne sont pas en manque de fausses informations pour garder leurs parts de marché ! Il n’y a absolument aucune référence aux manœuvres des lobbies commerciaux à l’origine de désinformation pour des intérêts commerciaux.

Rappelons aussi la nécessité d’aides à la presse pluralistes, égalitaires et non discriminantes en fonction des supports. Au sujet spécifique du numérique il y a urgence à s’assurer qu’on limite la part des informations qui sont triées en fonction des individus. La création d’un statut juridique des rédactions ou encore la garantie de l’indépendance des sociétés des rédacteurs pourraient également contribuer à améliorer la qualité de l’information.

L’examen de cette loi intervient dans un contexte inquiétant pour le travail des journalistes et la liberté d’expression, notamment avec la proposition de loi de transposition de la directive « secret des affaires » qui met en place un système de verrouillage de l’information mais également au moment d’une réforme de l’audiovisuel public qui s’apprête à mettre à mal notre service public de l’information. Il n’y a pas de démocratie sans citoyens éclairés, et pas de citoyens éclairés sans une presse libre et indépendante. Cette PPL vient nous confirmer que le libéralisme va à l’encontre des libertés.

Nous voterons contre ce texte.