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Contribution co-écrite avec mon collègue Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis pour L’Humanité de ce jour.
À quelques jours d’intervalle, les 12 et 16 et 27 mars, le chef de l’État s’est adressé à la nation dans des registres bien différents. Le jeudi 12 mars, il s’est livré à un éloge, inédit chez lui, de l’État social, des services publics et des mécanismes collectifs de protection sociale. Le pays entier fut d’ailleurs surpris de ce changement de pied, et de voir pour l’occasion la quincaillerie libérale de l’État macronien jetée par-dessus bord : l’État au service du marché, de la concurrence, le dogme de la compétition…
C’est d’abord le signe de la grande confusion qui règne au sommet de l’État à cet instant précis, et qui continue de se manifester dans les injonctions paradoxales du gouvernement : « Restez chez vous » et, en même temps, «Allez travailler ». Manifestement, les repères du président de la République sont inefficaces pour analyser et répondre à la grave crise sanitaire que nous traversons. Le roi est nu, il en a conscience, c’est pourquoi il cherche de tous côtés de quoi habiller son inconséquence.
Le 12 mars, il est allé provisoirement chercher des accents de sincérité du côté des principes fondateurs de notre République : la solidarité, l’entraide, le bien commun. Dans cette intervention, Emmanuel Macron fut en quelque sorte obligé de « donner le point » à des valeurs dont il devient chaque jour plus évident qu’elles tracent le chemin pour endiguer l’épidémie. Elles devraient à nos yeux remplir l’imaginaire de la suite, pour relever des défis d’ampleur : celui du réchauffement climatique ou encore d’une économie sobre et juste.
Cette concession de langage fut de courte durée. Le 16 mars, avec un discours martial, il déclarait abusivement « l’état de guerre » contre le virus. Et le 27 mars, enfonçant le même clou, c’est en bien dans la posture du « chef des guerre » qu’Emmanuel Macron s’est exprimé à Mulhouse, en posant devant des tentes militaires. Mais c’est aux êtres humains que l’on mène d’ordinaire la guerre : la guerre économique et la guerre sociale, qui se finissent toujours en guerre « tout court ». On comprend certes qu’il était indispensable d’exprimer la gravité de la situation et de susciter les comportements adéquats. Mais il n’est pas interdit d’y voir les prémices d’une « stratégie du choc » : créer un effet de sidération pour amplifier le travail destructeur de notre système social, une fois la crise sanitaire terminée. C’est en creux ce qui inspire la loi d’urgence sanitaire votée ce week-end, contre l’avis des députés communistes, et les mesures discrétionnaires qu’elle contient. Déclarer la guerre, c’est préparer l’après-guerre où tout est permis, y compris une austérité à tout-va et un productivisme à tout prix.
Non, la contrainte d’un « état de guerre » ne nous est d’aucune aide pour nous débarrasser du virus, à l’inverse de « l’État de droit », qui lui fédère les énergies des citoyens, des salariés. Aucune course aux armements ne réduira le Covid-19, mais bien la coopération des scientifiques du monde entier, échangeant leurs données. Ce n’est pas de la rivalité entre les nations, mais de leur entraide, se prodiguant tour à tour matériels et soignants, dont il dépend que nous soyons guéris. Et nos médecins comme nos infirmières.iers ne sont pas des soldats destinés à tomber au front : ils et elles doivent être protégés et soutenus pour pouvoir prendre soin de tous. Quant au « jour d’après » qui jetterait les bases d’une société plus juste, il n’a nul besoin d’un quelconque armistice pour être proclamé, il commence aujourd’hui.