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Cette proposition de loi que nous avons déjà examinée sous une autre forme et qui a été par la suite votée au Sénat vise à reconnaître aux éditeurs de service de presse en ligne et aux agences de presse un droit voisin afin de leur ouvrir la possibilité d’être rémunérés lorsque les contenus qu’ils produisent sont réutilisés en ligne.
Cette demande de longue date d’une partie des éditeurs a abouti à l’échelle européenne avec le vote d’une directive en ce sens en mars 2019.
L’ancienne pratique du droit d’auteur est à renouveler : les conditions de création, circulation, rémunération ont été bouleversés par le numérique.
Nous nous réjouissons que la représentation nationale se saisisse du sujet de la vampirisation des contenus de presse en ligne par les GAFA.
Facebook comme Google sont en effet devenus les principaux intermédiaires entre le public et l’information. Les internautes s’informent en premier lieu via les réseaux sociaux.
Constitué en oligopole, les GAFAM façonnent l’idée que l’on se fait du monde : entre 2/3 et ¾ des visiteurs des sites d’informations arrivent via Google et Facebook. Ces multinationales filtrent l’information et décident de ce qui est visible ou non dans l’espace public numérique.
Les producteurs de contenu et l’éditeur de presse sont donc relégués au second plan, derrière l’infomédiaire et deviennent de ce fait esclaves du moteur de recherche.
Si on ne fait rien pour protéger les éditeurs en ligne (et l’ensemble de la chaine de production de l’information), c’est le duopole Facebook Google qui créera à terme l’opinion publique en reléguant ainsi producteur de contenu et éditeur de presse au second plan.
Or, comme déjà exposé lors de l’examen de la première version du texte, cette loi comporte à notre sens quelques limites :
Premièrement, cette loi peut constituer un danger pour les droits à l’information et à la liberté d’expression, le droit au partage et au lien hypertexte. La neutralité des réseaux est un principe vital pour la liberté d’expression. Elle doit maintenant être comprise comme une exigence contre la progressive privatisation de l’internet.
L’article 1er bis autorise les « actes d’hyperliens » sans les définir. Une telle rédaction est source d’incertitudes. La notion d’hyperlien doit en effet être employée avec la plus grande prudence, étant donné qu’elle est au cœur de la liberté du net.
La seconde est le renforcement du lien de dépendance entre les infomédiaires et les éditeurs de presse en ligne avec comme conséquence première une altération de la qualité de l’information. En effet, la rémunération au clic encouragera les éditeurs de presse en ligne à privilégier la quantité à la qualité. Cela impactera fortement le référencement (et donc l’accès au plus grand nombre) des articles de fond.
Ce phénomène, déjà ancien s’amplifiera. Nous savons déjà que plus un site créé du contenu, plus le moteur va le mettre en valeur. Une rédaction qui produit peu sera moins visible – et avec l’existence de ce droit voisin, moins rémunérée ! C’est une incitation à produire toujours plus, à abandonner l’analyse et le reportage et à privilégier le « batonnage » c’est-à-dire la reprise de dépêches légèrement réécrites.
Le concept de droit voisin d’une certaine manière sanctuarise l’investissement au profit de la propriété intellectuelle. Il donne aux GAFAM un nouveau levier d’influence économique direct et créé une nouvelle ligne de revenus, cette fois garantie par la loi.
De plus, cela pénalisera les petits éditeurs de presse, qui n’auront pas les moyens financiers et le même poids que les éditeurs les plus reconnus pour négocier une juste convention entre eux et les GAFA. Le coût de mise en œuvre de cette nouvelle licence peut être conséquent, et inaccessible aux plus petits acteurs. Cela nuit de fait au pluralisme de l’information : seuls les gros éditeurs pourront financer une licence.
Il nous semble que la lutte contre les GAFA doit se mener sur le terrain de l’équité fiscale par rapport à nos entreprises. Les Gafam pèsent à eux seuls en Bourse près de 3 000 milliards de dollars, ce qui en fait une puissance comparable à des États. Cette équité fiscale permettrait d’envisager une meilleure aide à la presse.
Nous devons également exiger une transparence plus forte sur leurs pratiques qu’il s’agisse du fonctionnement des algorithmes et de leurs services ou de leurs pratiques en matière de respect de la concurrence.
Actuellement les algorithmes qui référencent des contenus de presse prennent en considération des problématiques d’audience, qui favorisent de facto les médias sur modèle gratuit financés par la publicité. Les algorithmes doivent être conçus de manière à ne pas introduire de biais qui discrimine un type de presse selon le modèle de financement qu’elle a choisi.
Enfin, la troisième limite réside dans la collecte et la redistribution des revenus engendrés par ce droit voisin.
Nous relayons ici les inquiétudes soulevées par le syndicat SPIIL concernant la nature du futur organisme de gestion, notamment son organisation et sa gouvernance.
Une représentation équitable de l’ensemble des éditeurs de presse et une transparence totale sur la collecte des droits et leur répartition est incontournable. Sans quoi, ce nouveau droit ne constituera rien de plus qu’une nouvelle rente pour une minorité de médias qui bénéficient déjà de la majeure partie des aides à la presse.
Les modalités de collecte doivent veiller à ne pas renforcer l’oligopole existant en matière de contenu : cela constitue à notre sens un enjeu démocratique.
De plus, l’article 3 indique que les journalistes « ont le droit ont droit à une part de la rémunération » qui sera négocié via un accord d’entreprise ou un accord collectif. Cette formulation imprécise ne présente aucune garantie quant à l’accès à une juste rémunération de leur production.
L’expression « appropriée et équitable » mentionnée à l’article 3 ajoute un garde-fou mais n’assure pas une reversement fixe et bien réparti face à la précarité des journalistes, souvent payés à la pige.
De plus, cette rémunération ne sera pas prise en compte dans le salaire du journaliste. De fait, les indemnités chômage et le calcul des points de retraite ne prendront pas en compte cette nouvelle ligne de revenu pour les journalistes. Cela ajoute de la précarité à la précarité et prive une profession déjà fragilisée à l’accès à ses droits sociaux les plus basiques.
Cela risque par ailleurs de remettre en cause les dispositions de la loi Hadopi qui a déterminé un équilibre entre droits des journalistes et revendications économiques des éditeurs. Si la mesure passait, qu’en serait-il du partage de la rémunération ? Cette mesure soulève une double inquiétude, d’une part, pour les auteurs (est-ce que leur rémunération baisserait proportionnellement ?) et d’autre part, pour le public (est-ce que cette nouvelle rémunération ne contraindrait-elle pas à créer un coût en contrepartie de la prestation des infomédiaires ?).
Dans un paysage médiatique profondément transformé l’ensemble des acteurs de la presse demande à ce qu’une grande réforme sur la presse et la communication voie le jour.
L’information doit être conçue comme un service commun et pluraliste. Il est grand temps de réformer le système archaïque et inégalitaire des aides publiques à la presse qui encore aujourd’hui n’inclut aucune aide à la presse en ligne ! Le pluralisme de l’information ne saurait être cantonnée à la distinction des supports.
Face à la multiplicité des facettes de la révolution numérique, l’enjeu est donc de s’en saisir, d’y participer et non de simplement la subir.
C’est pour toutes ces raisons que le groupe communiste votera contre ce texte.